Le Trône de Fer : le scénario en questions

D’autres extraits d’interview qui permettent d’en savoir un peu plus sur l’écriture du Trône de Fer. L’auteur, George R.R. Martin, parle de certains de ses procédés pour construire le scénario et entretenir le suspens : notamment l’usage des prophéties et la mort des personnages. pour votre sécurité, Les rares “spoilers” ont été soigneusement balisés !


 

Prophéties et jeux sur l’attente du lecteur

Une chose curieuse, dans vos livres, c’est que vous donnez plein d’indices à travers les flammes du Dieu Rouge, les mots du fantôme de Noblecœur (Ghost of the High Heart) ou les visions que Daenerys a dans l’Hôtel des Nonmourants (House of the Undying).

[Note : la série a essentiellement gardé les prophéties de Melisandre.]

Eh bien, peut-on les considérer comme étant des spoilers ? [Rires.] Il faut les regarder très attentivement pour comprendre ce qu’ils signifient. Ils ne veulent pas toujours dire ce qu’ils ont l’air de vouloir dire…

 

C’est sûr, l’intrigue est parfaitement imprévisible malgré toutes les prophéties que vous donnez pour nous aider…

[Rires.] Les prophéties sont, comme vous le savez, à double tranchant. Vous devez vous en servir avec le plus grand soin. Je veux dire qu’ils peuvent ajouter de la profondeur et de l’intérêt à un livre, mais vous ne devez surtout pas être trop littéral ou trop facile… Durant la Guerre des Deux-Roses (Angleterre, XVe siècle), il y avait un Lord à qui on avait prédit qu’il mourrait sous les murs d’un certain château ; il est alors devenu superstitieux à ce genre de murs. Il ne s’est donc jamais approché de ce château. À cause de la prophétie, il est resté à des milliers de lieues de là. Toutefois, il est mort au cours de la première bataille de St Paul de Vence. Quand on a trouvé son corps, il était devant une auberge dont l’enseigne était un dessin de ce château ! [Rires.] Donc, vous voyez ? C’est comme ça que les prophéties s’accomplissent de manière inattendue. Plus on essaie d’y échapper, plus on les rend véridiques, et je m’amuse un peu avec ça.

 

Donc vous cherchez toujours à frustrer nos attentes. Je me trompe ?

Oui, ça a toujours été mon intention de jouer avec les attentes du lecteur. Avant de commencer à écrire, j’étais un lecteur passionné et je le suis toujours ; et j’ai lu beaucoup, beaucoup de livres dont l’intrigue était très prévisible. En tant que lecteur, je cherche un livre qui me donne du plaisir et me surprenne. Je ne veux pas savoir ce qui va arriver. Pour moi, c’est central dans l’art de raconter des histoires. Je veux que mes lecteurs tournent les pages avec une fièvre croissante : qu’ils aient envie de savoir ce qui arrive ensuite. Il y a pas mal de choses auxquelles on s’attend, en particulier dans la fantasy où on a le héros, l’élu, qui est toujours protégé par sa destinée. Je ne voulais pas de ça dans mes livres.

 

Tueur de personnages

Quand vous tuez un personnage et que des fans s’en plaignent, que répondez-vous ?

Parfois, je compatis. C’est dur de tuer des personnages. Ce sont mes enfants. Bien sûr, certains étaient marqués par la mort dès le départ, comme (attention, spoiler saison 1) Ned Stark. Il y a plein de livres écrits pour ceux qui recherchent le confort dans la lecture, qui veulent apprécier une histoire excitante sans que rien ne vienne les déranger ou les bouleverser. C’est excitant de voir un film avec Indiana Jones et de le regarder tuer 40 nazis, mais il y a aussi une place pour La Liste de Schindler. L’héroïsme de Schindler est plus dans mon genre que celui d’Indy – l’un est divertissant, mais l’autre est profond et dit quelque chose sur la nature humaine. Je ne sais pas si j’y parviens, mais en tout cas c’est ça que je recherche. Je pense que la fantasy après Tolkien est devenue Indiana Jones. On a imité beaucoup de thèmes de Tolkien sans en garder l’esprit. Ses livres ne sont pas tous très joyeux.

 

Si certains protagonistes n’avaient pas été tués, la saga aurait pris un tour complètement différent. Saviez-vous à l’avance ce qui allait arriver à ces personnages ? Ou bien leur mort est-elle quelque chose qui est devenue inévitable au fur et à mesure que vous écriviez ?

Je le savais presque depuis le début. Je connais les temps forts de l’histoire, qui va vivre et qui va mourir. Il y a beaucoup de détails que je découvre lors de l’écriture. Pour certains personnages secondaires, je peux l’inventer au moment où j’écris. Si un des personnages principaux va se battre accompagné de six de ses amis, je ne sais pas nécessairement ce qui va arriver à ces six amis quand je m’assois pour écrire. Mais ce qui arrive aux personnages importants, le moment de leur mort, les événements qui vont faire basculer leur vie… tout a été planifié depuis le début.

 

Faites-vous parfois un tour sur Internet, dans les forums, pour voir les prédictions que font vos fans ?

Je connais les principaux forums sur le net qui se centrent sur Le Trône de Fer, et avant j’avais l’habitude de regarder les groupes anglais et américains. Aujourd’hui, le site le plus important est Westeros – mais j’ai commencé à me sentir mal à l’aise et j’ai pensé que ce serait une meilleure idée de ne pas me rendre sur ces sites. Les fans inventent toujours des théories ; beaucoup d’entre elles sont spéculatives mais d’autres sont sur la bonne voie. Avant le net, un lecteur pouvait deviner la fin que vous désiriez pour votre roman, mais les 10 000 autres n’en savaient rien et elles étaient toujours surprises. Cependant, à présent, ces 10 000 personnes utilisent le net et elles lisent les bonnes théories. Elles disent : « Oh mon Dieu, c’est le majordome qui l’a fait ! », pour prendre l’exemple d’un roman policier. Alors, vous pensez : « Je dois changer la fin ! La jeune fille sera le criminel ! » À mon avis, cette façon de penser conduit au désastre parce que si vous faites bien votre travail, les livres sont plein d’indices qui suggèrent, qui vous aident à comprendre que c’est le majordome qui l’a fait. Si vous changez la fin pour faire de la jeune fille le coupable, ces indices n’ont plus aucun sens : ils sont faux, ou bien ce sont des mensonges – et je ne suis pas un menteur.

 

Vous savez que la fin ne satisfera pas tout le monde, n’est-ce pas?

Bien sûr, je décevrai certains de mes fans parce qu’ils imaginent des théories sur qui va prendre le trône à la fin : qui vivra, qui mourra… Ils vont jusqu’à imaginer des associations romantiques. Mais j’en ai déjà fait l’expérience avec A Feast for Crows (tome 4) et de nouveau avec A Dance with Dragons (tome 5), et, pour reprendre les mots de Rick Nelson : « Vous ne pouvez pas satisfaire tout le monde, vous devez donc vous satisfaire, vous. » J’écrirai donc les deux derniers livres comme je le peux, et je pense que la grande majorité de mes lecteurs s’en contentera. Essayer de satisfaire tout le monde est une terrible erreur. Je ne dis pas qu’on a intérêt à agacer les lecteurs, mais l’art n’est pas une démocratie et ne devrait jamais l’être. C’est mon histoire et les gens que ça agace n’ont qu’à écrire leurs propres histoires, celles qu’ils veulent lire.

 

Attention, risque de spoils dans les deux questions qui suivent, pour les non-lecteurs du tome 5.

 

Parcours des personnages.

Il y a un moment dans la saga où on a l’impression de lire un groupe d’histoires séparées. Vers la fin du tome 5, A Dance with Dragons, on sent que les fils commencent à se rejoindre. Est-ce exact ?

C’est en tout cas mon intention, et ça l’a toujours été. Tolkien était mon grand modèle pour une bonne part. Bien que je diffère de Tolkien sur des points importants, personne ne lui porte un plus grand respect que moi. Si vous jetez un œil au Seigneur des Anneaux, ça commence avec un focus serré : tous les personnages sont ensemble. Ensuite, vers la fin du premier tome, la Communauté éclate et on suit des aventures différentes. J’ai fait la même chose. Tout le monde se trouve à Winterfell au début, sauf Daenerys ; ensuite, ils éclatent en plusieurs groupes, et finalement ceux-là aussi éclatent. Mon intention était de les déployer, puis de les faire converger de nouveau et les faire revenir ensemble. Trouver le point où ces retrouvailles commencent a été l’une des questions majeures auxquelles j’ai été confronté.

 

Jeu de trônes : joueurs et pions.

Un autre thème qui émerge – il est présent tout du long mais devient plus clair avec l’épilogue du dernier tome paru, A Dance with Dragons – c’est que les personnages croyant être des joueurs importants du jeu de trônes ne sont en fait que des pions. Le vrai pouvoir se trouve dans l’ombre. Était-ce une idée que vous vouliez développer dès le début ou est-elle apparue en cours de route ?

Cela dépend de quel moment vous parlez. Quand j’ai commencé la série en 1991, je ne savais pas vraiment ce que ça allait être. Mais une fois que l’écriture du premier tome (A Game of Thrones) a bien avancé, oui, je savais quels seraient les principaux thèmes développés et celui-ci en faisait partie. La nature du pouvoir et son utilisation, ce que font les gens pour accéder au pouvoir – c’est une des choses majeures que je développe.

L’énigme que pose Varys dans le tome 2 (A Clash of Kings) est une question centrale. Il évoque des soldats qui reçoivent des ordres contradictoires du roi, du prêtre ou du riche : à qui obéissent-ils ? qui a vraiment le pouvoir ?

 

Sources

Trois interviews de George R.R. Martin (références exactes au début de la publication du 30 avril 2014: cliquez ici).

Découvrez aussi mes autres articles présentant Martin et le Trône de Fer : j’évoque plus en détails la question des personnages, l’élaboration du monde et présente l’auteur en quelques mots.


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