Le polar d’Eduardo Sacheri, El secreto de sus ojos (Dans tes yeux, 2011, pour la version française) se focalise sur le milieu judiciaire d’Argentine, dans un contexte politique trouble. Passionnant.
(Cet article fut écrit originellement pour le site web de la librairie Terra Nova à Toulouse, dans le cadre d’un partenariat avec mon master Métiers de l’Écriture. Vu qu’il n’a jamais été publié au final, après des années d’un suspense insoutenable, le voici ici dans son entièreté.)
El secreto de sus ojos est une œuvre complexe à plusieurs titres.
Deux intrigues s’associent : l’histoire du juge Chaparro au sein d’une affaire criminelle – le meurtre et le viol d’une jeune femme – avec ses rebondissements maîtrisés ; et puis les pensées du même juge trente ans après, son cheminement psychologique, son amour indécis pour sa collègue Irene.
La profondeur psychologique des personnages est l’un des délices du roman : le juge Chaparro, clairvoyant, qui raconte une partie de l’histoire ; son collègue et ami Sandoval, homme brillant et alcoolique ; l’assassin Gómez, malin mais impulsif ; l’ambiguë Irene ; Baez, le policier perspicace et loyal ; enfin, Morales, le veuf qui explique minutieusement pourquoi sa vie ne peut être qu’un désastre.
On retrouve le monde occidental jusque dans sa banalité – comme la bureaucratie judiciaire ou le contrôle des billets de train. Mais, perçus avec la plus grande finesse, ces éléments se renouvellent et font mouche à chaque fois, tel le moment où Morales se révolte contre l’expression figée – et arbitraire – du “mauvais temps”. Même l’amour de Chaparro sort des sentiers battus : c’est celui d’un sexagénaire deux fois divorcé, aussi timide qu’un adolescent dès qu’il se trouve face à Irene.
L’amour, la vengeance, le quotidien, la vieillesse, l’échec de l’existence, la dictature du général Peron, tous ces thèmes et d’autres se croisent avec un naturel et une lucidité inimaginables, dans une langue fluide, fine, touchante. Les vingt premières pages suffisent à s’habituer à cet espagnol latino-américain du secteur administratif (note : je l’ai lu en VO). L’humour, d’abord présent presque à chaque page, laisse place peu à peu à une ambiance sombre et inquiétante. Un style complexe et maîtrisé, qui nous tient en haleine tout au long de l’œuvre.
Quiconque prétendra ne pas avoir le temps de lire un récit de 300 pages pourra se rattraper avec le film : il est à la hauteur du roman dont il est adapté. Il a bien pris quelques libertés, mais il faut croire qu’elles en valaient la peine – au vu notamment des récompenses qu’il a obtenues. Un excellent film adapté d’un excellent roman, c’est rare.
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