Hypérion : quand la SF touche à tous les genres

Aujourd’hui, je vais vous parler de littérature SF. De la bonne SF. Je vais vous parler d’Hypérion.

Écrit par Dan Simmons, Hypérion est un roman de space opera absolument unique. Ça parle de voyages interplanétaires. D’exoplanètes. De métaphysique. D’intelligence artificielle. De colonisation. De guerre. D’amour. De poésie. D’enquête policière…

Et, peut-être avant tout ça, ça parle d’un monstre : le Shrike (« Gritche » en version française).

Hypérion, c’est une prouesse littéraire, un mélange des genres qui se traduit jusque dans l’écriture. Si vous aimez la science-fiction, sachez que ce livre est à peu près aussi incontournable que Dune ou Fondation.

N’ayez crainte, je ne vous spoilerai pardon, divulgâcherai rien dans cet article.

(Note : Dan Simmons est également l’auteur, entre autres, de L’Échiquier du mal et du terrifiant roman Terreur… qui mériteraient bien, eux aussi, un long article rien que pour eux. Tentez-en la lecture si vous l’osez.)

 

Un peu de contexte

Potrait distrant (farcaster) sur une planète de l'univers d'Hypérion: un portail reliant un monde à un autre.
Cette vision d’artiste illustre parfaitement le concept du « portail distrant » (réalisé par mindtricks420 pour DeviantArt).

Hypérion (publié aux États-Unis en 1989) est en fait le premier tome d’un diptyque : Les Cantos d’Hypérion. Sa suite s’intitule La Chute d’Hypérion. Ces deux romans sont complètement autonomes. En revanche, si vous souhaitez en savoir plus, Dans Simmons a écrit un autre diptyque qui fait suite au premier : le cycle d’Endymion, composé d’Endymion et de L’Éveil d’Endymion.

À mon avis, le premier cycle est bien meilleur que le second. Attention, pas que le second soit mauvais, loin de là. Il pose des personnages diablement attachants, on voyage sur différentes planètes qui varient de l’exotique à l’incroyable, les intrigues politiques se mêlent à une quête métaphysique, sans parler des paradoxes temporels des détails techniques fort bien documentés, et on a parfois du mal à suivre le tout. En somme, c’est très fidèle au diptyque d’origine. Même si, à mesure que je lis la trilogie des Guerriers du Silence de Pierre Bordage, je ne puis m’empêcher un certains nombres de points communs (thématiques, personnages, intrigue). Or, la trilogie française est parue quelques années plus tôt. Coïncidence ? Allez savoir…

En revanche, Dan Simmons a bel et bien inspiré la saga L’Étoile de Pandore de Peter F. Hamilton (parue à partir de 2004). Saga très prenante, par ailleurs. Chez Hamilton, on retrouve un grand nombre de thématiques, voire procédés scénaristiques : les portails dimensionnels entre différentes planètes, une société devenue immortelle par le biais de résurrections, une démocratie défaillante et colonialiste, la menace d’un groupuscule que l’on hésite à qualifier de lucides ou de fanatiques, une guerre interstellaire, et j’en passe… Quoi qu’il en soit, je recommande également la lecture d’Hamilton.

Mais pour en revenir à l’univers de Simmons… Deux nouvelles – que je n’ai pas encore lues – viennent compléter les quatre romans : Les Orphelins de l’hélice et La Mort du Centaure. Je n’en parlerai pas, car je ne sais absolument pas de quoi ça parle.

 

L’histoire

Le Shrike, par Dan Simmons, créature flippante et meurtrière
Le Shrike, l’une des créatures les plus flippantes de la littérature (dessin de Silberius pour DeviantArt).

L’histoire se passe dans plusieurs centaines d’années, au XXIXe siècle : à une époque où l’humanité aura colonisé une partie de la galaxie. La plupart des planètes ainsi colonisées sont réunies sous le contrôle de l’Hégémonie.

Hypérion est l’histoire de sept pèlerins envoyés sur la planète Hypérion pour rencontrer le Shrike. Pourquoi ? Qu’ont-ils en commun ? Qu’attend-on d’eux ? Personne ne semble le savoir.

Les sept pèlerins décident de se raconter tour à tour leur histoire afin de mieux se connaître et de comprendre les raisons de leur quête.

Chose remarquable : chacun des sept personnages est extrêmement bien caractérisé – de même que son histoire. Je ne vous les présente pas dans l’ordre, afin que vous ne sachiez pas tout de suite dans quel ordre ils vont raconter leur histoire. Qui sait, vous pourriez avoir des surprises en lisant le roman 😉

  • le Consul, diplomate auto-exilé ; le premier personnage apparaissant dans le récit ; et non le moins mystérieux.

  • le Père Lenar Hoyt, ce prêtre catholique désabusé racontant sa quête pour chercher le Père Paul Duré à travers les régions les plus reculées de la planète Hypérion. Une aventure où il sera confronté à l’horreur…

  • Martin Silenus, ce poète grossier adepte de l’humour et du bon vin, qui n’a qu’une seule aspiration : terminer son poème.

  • Het Masteen, le Templier, capitaine d’un étrange vaisseau spatial… lequel n’est rien d’autre qu’un arbre long de plus d’un kilomètre !

  • Sol Weintraub, alias le Juif errant, un intellectuel partant pour ce pèlerinage avec un bébé âgé de quelques semaines : sa fille Rachel dont le destin improbable défie la science.

  • le Colonel Fedmahn Kassad : ce super-soldat est un homme de guerre mais aussi un homme d’amour…

  • Brawne Lamia, la seule femme du groupe ; une détective au caractère bien trempé dont la dernière enquête a révélé une terrible menace pesant sur… non, je n’en dis pas plus.

Les récits de chaque personnage révèlent les préoccupations – ou plutôt les obsessions – de chacun. Ils s’inspirent de différents genres romanesques : le policier, l’horreur, l’épique, l’essai, etc. ; les tons varient entre des registres aussi variés que le fantastique, l’érotisme, l’épique ou la science-fiction pure. Chacun révèle une partie de l’univers et nous dévoile un peu plus sur les quêtes concordantes et sur la terrifiante créature qu’est le Shrike.

 

Pourquoi l’univers d’Hypérion est carrément prenant

Outre que l’histoire est palpitante et drôlement bien écrite, l’univers dans lequel se déroule l’intrigue est absolument fascinant. Je vous en donne quelques raisons. D’autres, vous les découvrirez vous-mêmes au fil du récit.

Le côté SF

À mesure que l’on progresse dans le roman, on découvre davantage l’univers et sa complexité technologique. Par exemple :

  • les voyages interstellaires, qui peuvent se faire soit de manière instantanée grâce aux « portails distrants » (les farcasters), soit de manière beaucoup plus classique, en vaisseau spatial : les voyages peuvent durer des mois pour les passagers du vaisseau en question… mais des années pour les personnes restant sur leur planète. Certains personnages vieillissent ainsi plus vite que d’autres… On retrouve le même principe dans le film Interstellar, de Christopher Nolan ;

  • le Centre (Core en VO), cette nation habitée uniquement par les intelligences artificielles ; Dans Simmons en a fait quelque chose d’unique d’un point de vue technologique, géopolitique et même linguistique ;

  • et dans la société de l’Hégémonie, certains délirent au point de subir une opération pour devenir des faunes… tel le personnage de Martin Silenus ;

  • et puis il y a les Tombeaux du Temps, où évolue le Shrike, dont l’existence même défie le bon sens et les lois de la physique ;

  • enfin, comment ne pas parler de l’Yggdrasil, le vaisseau-arbre de Het Masteen évoluant dans l’espace comme n’importe quel vaisseau spatial… sauf qu’il s’agit d’un arbre gigantesque.

Le Shrike

Il s’agit, à mon avis, de l’une des créatures les plus flippantes de la littérature. Je le place aux côtés d’Ungoliant et Shelob (les deux araignées géantes de l’univers de Tolkien), du comte Dracula et des Anciens de Lovecraft (Cthulhu et sa clique). Ou, pour les comparer à des références cinématographiques, aux Ravageurs de Serenity, au démon de Paranormal Activity et au Xénomorphe d’Alien.

En sachant que le Shrike est bien plus mystérieux et terrifiant que la plupart des créatures nommées ci-dessus.

C’est pour ça que je n’en parlerai pas plus pour vous laisser le découvrir. Juste : l’Arbre de Douleur, quoi !!

Le space opera

Le cycle d’Hypérion est aussi formidable de par la découverte d’une planète extraterrestre ayant son propre écosystème. Le plus remarquable étant les « arbres tesla » qui brûlent à une certaine saison de l’année.

À travers les récits des différents protagonistes, on a aussi des aperçus de planètes incroyables, en particulier celle abritant des arbres géants, à partir desquels les Templiers construisent de vrais vaisseaux spatiaux. Ce n’est pas pour rien que le plus haut arbre du monde, découvert en Californie en 2006, a été appelé « Hypérion ».

Le cycle d’Endymion va encore plus loin en la matière.

Les Ousters (les « Extros »)

Ces barbares nomades de l’espace ne sont pas sans rappeler les Ravageurs de Serenity tout en étant très différents. Je n’en dis pas plus.

L’aspect religieux, voire mystique

Entre le terrible pouvoir du cruciforme que portent les habitants d’un village reculé, les labyrinthes gigantesques datant d’avant l’humanité, les Tombeaux du Temps, l’Arbre de Douleur, l’Église gritchtèque, Hypérion regorge d’éléments originaux ou reprenant des aspects chrétiens ou mythologiques, mais à la sauce SF.

C’est l’assaisonnement qui rend cet univers si prenant, si spécial, et qui l’aide à dépasser la simple dimension du divertissement.

 

Si, avec tout ça, vous n’avez toujours pas envie de lire le roman, c’est que vous êtes totalement allergique à la science-fiction, voire à la littérature en général. Car il s’agit bien plus que de la SF.

Les amateurs de space opera seront fascinés par ces mondes originaux (ainsi que par le reste). Les deux cycles d’Hypérion et Endymion dépeignent des mondes à couper le souffle, au point que je regrette qu’il n’y ait pas davantage d’artistes qui aient tenté de mettre cet univers en image. Mais les choses sont amenées à changer : la Warner Bros envisage une adaptation au cinéma. Pas trop tôt.


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