Littérature de l’imaginaire : romans francophones contemporains

Vous adorez la SF ou la fantasy mais, comme moi, vous en avez assez de lire uniquement des auteurs anglo-saxons comme Tolkien, George R.R. Martin, Isaac Asimov ou Dan Simmons ? Vous voulez enfin savoir ce qui se lit de bien chez nos compatriotes ?

J’ai enfin commencé à me plonger dans la littérature de l’imaginaire française contemporaine, et je me suis dit que vous pourriez peut-être profiter de mon expérience. Je me suis permis de glisser quelques classiques, notamment des auteurs du XIXe… OK, j’en ai casé beaucoup en fait… parce que c’est quand même difficile de passer à côté d’auteurs comme Jules Verne.

Dans l’ensemble, on a quand même pas mal de bijoux. J’ai certes eu des déceptions. En SF ou en fantasy, j’ai l’impression que beaucoup d’auteurs maîtrisent bien mieux le worldbuilding que les personnages. Voire l’intrigue. D’ailleurs, quelques-uns se plantent sur les tableaux.

J’ai classé ces œuvres par genre mais, vous l’aurez compris, les frontières entre fantasy, science-fiction, fantastique, gothique sont parfois assez poreuses… et particulièrement chez certains auteurs.

Couverture des Chimères du passé par Muriel Eruten, édition Hatanna, 2021
Couverture du roman gothique Les Chimères du passé par Muriel Eruten (éd. Hatanna, 2021).

Sommaire :

 

​1) SF

​J’ai aimé

  • Pierre Bordage, trilogie des Guerriers du Silence (Les Guerriers du Silence (1993) Terra Mater (1994) La Citadelle Hyponéros (1995) ; éd. L’Atalante: bonne trilogie très sombre, avec tout un tas d’aventures et une approche métaphysique. C’est même tellement sombre que ça en devient parfois glauque. J’ai certes eu du mal avec certains personnages, mais ça reste l’un des meilleurs space-opera que j’ai lus en termes de descriptions de planètes et de sociétés extraterrestres (mais peuplées d’humains, attention) ;

  • Jules Verne, bien sûr. Alors certes, il n’a pas écrit que des chefs d’œuvre, et son goût pour les longues descriptions voire les portraits trop longs peut en rebuter plus d’un. Il n’en est pas moins vrai que cet auteur est incontournable. Il était vraisemblablement l’un des premiers à avoir lancé l’archétype du scientifique perché… pour ne pas dire du savant fou. Avant même d’être un auteur d’anticipation, il était celui du voyage. Mais si l’on reste dans la SF, citons les incontournables : Vingt Mille Lieues sous les mers (1869), De la Terre à la Lune (1865 – suivi par Autour de la Lune, 1969) et bien d’autres ;
  • Bernard Werber, Le Papillon des Étoiles (Albin Michel, 2006) qui vous emmènera dans une tentative d’utopie vouée à l’échec dans un immense vaisseau spatial. L’un de ses meilleurs romans avec Les Thanatonautes (1994) qui, lui, explore la mort au sens propre et allie SF, réflexions métaphysiques voire quelques personnages assez cools. Werber m’a souvent déçu, mais je recommande d’en lire un ou deux (pas plus) et particulièrement ceux-là. À ce titre, concernant les Thanatonautes : je vous déconseille fortement de lire la suite (L’Empire des Anges puis la trilogie des Dieux) ;

  • Pierre Bordage, Inkarmations (LEHA, 2019) : un bon roman entre la SF et la fantasy, avec la touche mystique qui apparaissait déjà dans les Guerriers du Silence. Les persos m’ont paru plus attachants ici en revanche, bien que l’un d’entre eux soit un peu déroutant. Bordage reprend à sa sauce le thème des anges et des démons, avec d’un côté la Trinité des “Seigneurs du Karma” et de l’autre le “Souverain des Abîmes” ;

  • Régis Messac, Quinzinzinzili (Éditions de la fenêtre ouverte, 1935) : un roman post-apo certes daté mais étonnant de modernité, et aussi pessimiste qu’il soit possible de l’être. Il est facile à lire, et serait sans doute déprimant sans l’humour cynique du narrateur ;

  • Catherine Dufour, Le Goût de l’immortalité (Mnémos, 2005). Une histoire assez atypique dans un monde dystopique qui m’a parfois pris au dépourvu – notamment en se détachant complètement, par moments, de l’intrigue principale. Mais un véritable style, pas mal d’humour au début, des persos intéressants – un roman de SF dystopique qui n’est pas enferré dans un genre et fricote avec le fantastique, le thriller ou encore le roman épistolaire ;

  • Maxime Chattam, série Autre-Monde (éd. Albin Michel). J’ai lu le premier cycle (trois tomes) : L’Alliance des Trois (2008), Malronce (2009) et Le Cœur de la Terre (2010). Ce sont des romans jeunesse de SF post-apo qui reprennent pas mal de codes de fantasy (influences évidentes de Tolkien et JK Rowling), et ça marche plutôt bien. Romans prenants, à l’univers réussi et avec un vrai propos écologique, et une intrigue bien menée. Souvent prévisibles, et des personnages principaux qui, au début, sont un peu trop stéréotypés à mon goût (le point faible du livre à mon sens) mais se lisent très facilement malgré leur épaisseur. On ne s’ennuie pas un seul instant ;

  • Antoine Volodine, Terminus Radieux (Seuil, 2014) : bizarre, vous avez dit bizarre ? Voilà de la SF post-apo qui fricote avec le fantastique, voire le surréalisme, et vous emmène au fin fond de la Russie. On accroche ou on accroche pas. C’est aussi perché que du Damasio mais plus facile à lire… quoique le bouquin soit épais.

​Je suis mitigé

  • Alain Damasio, Aucun souvenir assez solide (La Volte, 2012). Damasio est un véritable écrivain avec une vraie plume et un vrai propos mais… très dur à lire. Compliqué à suivre, c’est fatigant alors que j’aime lire pour me détendre. Ça demande du temps pour s’habituer à son style : néologisme, déconstructions grammaticales, structure narrative complexe. Alors vous pensez bien, lire un recueil de nouvelles dans ces conditions est tout sauf reposant ;

  • René Barjavel, Ravages (Denoël, 1943) et La Nuit des temps (Presses de la Cité, 1968). Les deux romans reprennent sensiblement les mêmes thématiques, à savoir la chute d’une civilisation et une histoire d’amour bidon. Autant vous dire, je pense que d’un côté cet auteur excelle dans le scénario catastrophe ; mais que ses personnages sont clichés, ridicules, plats voire exécrables – ses histoires d’amour ne sont pas crédibles ou émouvantes à mon sens ;

  • Loïc Henry, Les Océans stellaires (Scrinéo, 2016) : un space-opéra que j’ai trouvé décevant. Quelques bonnes idées (les “Seuils” permettant de passer d’une planète à une autre), et un message misanthrope comme je les aime ; mais je n’ai pas trouvé les personnages très attachants, l’histoire ne m’a guère captivé, et j’ai trouvé les citations en tête de chapitre plus énervantes qu’autre chose.

​J’ai détesté

  • Jacques Barbéri, Mondocane (La Volte, 2016) : lu les deux premiers chapitres, n’ai pas eu la force de poursuivre. Clichés ridicules, absence de recherches préliminaires, dialogues et persos nuls. À l’opposé de Damasio, en fait.

 

​2) Fantasy

​J’ai aimé

  • Estelle Faye, trilogie de La Voie des Oracles (Thya (T1), Enoch (T3) et Aylus (T3), éd. Scrinéo, parus entre 2014 et 2016) : une trilogie de fantasy historique qui se déroule pendant la décadence de l’Empire romain ; comme quoi, pas forcément besoin de créer un monde de fantasy, il suffit de reprendre ce qui a déjà été fait, et l’auteure fait ça très bien. On croise certes un certain nombre de codes et stéréotypes plus ou moins transparents (l’histoire d’amour notamment avec son côté Anastasia), mais ce n’est pas dérangeant. On se laisse emporter grâce à un style fluide, des personnages attachants et un très bon mélange entre roman historique et surnaturel. Le tome 1 m’a agréablement surpris, le tome 2 m’a un peu moins plu ; quant au tome 3, je l’ai trouvé excellent : il part dans une direction complètement différente aux deux premiers, mais ça marche du feu de Dieu(x) ;

  • Pierre Pevel, trilogie des Lames du Cardinal (Les Larmes du Cardinal (T1, 2007), L’Alchimiste des Ombres (T2, 2009), Le Dragon des Arcanes (T3, 2012), éd. Bragelonne) : vous aimez les romans de capes et d’épée et les dragons ? Cette trilogie est faite pour vous. Clairement inspirée par Alexandre Dumas, cette saga se déroule au XVIIe siècle, à l’époque de Richelieu, dans un passé alternatif où les dragons existent. Dans le premier tome, en revanche, c’est surtout l’ambiance “Trois mousquetaires” qui prime, pour mon plus grand bonheur. Les deux tomes suivants incluent beaucoup plus la magie et accumulent plus de défauts à mon sens (notamment une conclusion assez bâclée), mais restent super agréables à lire ;
  • Catherine Dufour, Blanche-Neige et les Lance-Missiles (éd. Nestiveqnen, 2001) : comment le décrire autrement que comme du Terry Pratchett français? L’influence est là. Dufour confirme son talent avec un roman drôle, souvent hilarant, occasionnellement brillant. Bémol : entre les personnages à foison, parfois introduits à l’arrache, l’intrigue complexe, des chapitres flash-back, des révélations et un style (trop ?) soignée, l’histoire en devient parfois difficile à suivre, et j’ai eu du mal à m’attacher aux persos.

​Je suis mitigé

  • Ange, Le Peuple turquoise (Les Trois Lunes de Tanjor, T.1 ; Bragelonne, 2001) : on pourrait résumer ce roman en une course-poursuite à travers un univers forgé de toutes pièces. C’est une bonne histoire mais qui ne m’a pas entièrement convaincu. Je pense que c’est principalement dû au personnage principal que je trouvais con et ridicule à faire sans cesse son macho arrogant et vouloir être plus méchant qu’il ne l’est – en plus d’être intolérant. Sinon, il y a de bonnes idées en termes d’univers et l’on ne s’ennuie pas grâce aux nombreuses péripéties.

​J’ai détesté

  • Mathieu Gaborit, Abyme (Mnémos, 1996-1997) : une grosse déception. Je me suis traîné péniblement jusqu’à la fin de la première partie. Les personnages ne sont pas attachants (pas même le narrateur), l’intrigue policière m’a parue décousue ainsi que vue et revue. Le monde qu’il développe est certes complexe et réussi, mais il prend beaucoup trop de place sur l’intrigue et les personnages, et on se voit obligé d’absorber des dizaines de descriptions qui n’apportent rien à l’intrigue et qu’on oublie au fur et à mesure ;

  • Lazare Guillemot, 115° vers l’épouvante (Les Moutons électriques, 2018) : par chance, ce roman est court et se lit facilement. Tout, depuis l’intrigue jusqu’aux personnages, en passant par l’ambiance et les dialogues, me semble à revoir ; la deuxième moitié du livre m’a même semblé bâclée. Je l’ai casé dans la catégorie “fantasy” pour le mettre quelque part. Plus que de la fantasy à proprement parler, je pense qu’il s’agit avant tout d’un (mauvais) roman d’aventure historique où la magie a sa place. Ni “épouvante” ni horreur, cependant : c’est ce genre de roman où, après des péripéties censé être éprouvantes, les personnages discutent paisiblement tout en découvrant la gastronomie française.

 

3) Gothique

​J’ai aimé

  • Muriel Eruten, Les Chimères du Passé (Hatanna, 2021) : ce thriller suit l’enquête d’un jeune homme désabusé pour lever les mystères d’une maison hantée… Un roman captivant et bien construit, dans un univers désenchanté où l’humour noir a toutefois sa place. Entre histoires d’amour rarement joyeuses-joyeuses, mystères et paranormal, ce roman se veut gothique jusqu’au bout des ongles. On ne s’ennuie pas à un seul instant. Bref, une très bonne découverte ;
  • Victor Hugo, Notre-Dame de Paris (1831) : qui n’a jamais entendu parler de Quasimodo ? Frollo ? Phœbus ? Esmeralda ? Bien moins primesautier que le célèbre film Disney, le roman original est d’un tel pessimisme que c’est à se pendre (sans jeu de mots, les vrais comprendront)… mais reste un classique du genre ;
  • Jules Verne (encore lui) : Le Château des Carpathes (Hetzel, 1892) : comme le titre l’indique, ça parle d’un château perdu au milieu des Carpates, mais aussi d’amours malheureuses. Pour autant que je me rappelle, c’est l’un de ses romans les mieux écrits.

​Je suis mitigé

  • Fabien Clavel, Homo Vampiris (éd. Mnémos, 2014) : un roman de vampires qui ne m’a pas convaincu. Il tient trop du film d’action hollywoodien avec bastons à répétition, sans que le scénario (ou les personnages) soit très réfléchi ; il y avait même quelques absurdités de mon point de vue.

 

4) Fantastique

J’ai aimé

  • Estelle Faye, Widjigo (éd. Albin Michel, 2021) : Faye confirme son goût pour l’historique, pour mon plus grand bonheur. L’histoire retrace une expédition qui tourne à la catastrophe. Entre l’ambiance, les persos et le style, j’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture. Malgré la fin qui ne me semblait pas à la hauteur : trop artificielle, trop longue aussi.
  • Catherine Dufour, Au bal des absents (éd. Seuil, 2020) : une chômeuse attachante et très crédible entreprend une lutte contre une maison hantée. Le roman s’empare des codes du fantastique à sa sauce ; pas suffisamment pour rendre l’histoire crédible, mais assez pour nous faire marrer et avoir du respect pour l’héroïne (ça oui!).

Pour le reste, je le reconnais, ma connaissance du pur fantastique français se cantonne essentiellement aux auteurs du XIXe, mais il faut dire qu’ils étaient bons :

  • Maupassant : Le Horla (1886) : un classique ;

  • Balzac : Le chef d’œuvre inconnu (1831), Melmoth réconcilié (1835). Avis à ceux qui l’ont étudié en cours (= tout le monde), Balzac n’a pas écrit que de longs romans chiants et réalistes ;

  • Jules Verne (toujours lui !) : Maître Zacharius ou l’Horloger qui avait perdu son âme (1854) : pour découvrir une autre facette de cet auteur.

 

​5) Bonus : lisez des BD !

L’univers de la BD franco-belge (surtout belge, reconnaissons-le) regorge de séries fricotant plus ou moins avec la SF, la fantasy… voire les deux en même temps, comme le génial Thorgal (Jean Van Hamme et Grzegorz Rosiński, éd. du Lombard).

On pourrait aussi nommer la mythique série des Spirou & Fantasio où l’on croisera notamment le Comte de Champignac et Zorglub dans la lignée des inventeurs… voire Fantasio lui-même.

Sinon, si vous voulez lire quelque chose de complètement barré (et français), entre historique, SF, fantasy, et capes et d’épée, tentez De Capes et De Crocs (Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou, éd. Delcourt) que je vous recommandais déjà.

 

Conclusion

Cette liste (destinée à être mise à jour) ne concerne que les bouquins français que j’ai lus dans les romans de l’imaginaire… et encore, pas tous. En effet, la littérature jeunesse ou “young adult”, beaucoup plus prolifique dans ces genres-là, en propose à foison.

Et puis, on pourrait (encore plus) remonter le temps avec certains contes philosophiques de Voltaire (Micromégas) ou Les États et Empires de la Lune de Cyrano de Bergerac (oui, le mec qui a inspiré la fameuse pièce d’Edmond Rostand). Mais, pour les avoir lus il y a longtemps, je pense que leur lecture est réservée aux plus littéraires d’entre vous. Je ne dis pas qu’ils sont chiants (noooon 😉 ) mais ils tiennent plutôt de la réflexion et de la critique politique de l’époque. En bref, j’estime qu’ils ont assez mal vieilli. Si vous tenez à lire de la satire politique historique, lisez plutôt l’ouvrage d’Edwin Abbott, Flatland (1884), qui a le mérite d’être innovant sur le fond comme sur la forme.

Enfin, si vous êtes curieux et bizarre, vous pouvez aussi vous renseigner sur ce qui se lira dans quelques décennies 🙂


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