Si l’Occident lutte avec acharnement contre l’obésité – fléau médical, économique, voire « terrorisme de l’intérieur » – en Mauritanie, on voit les choses autrement. Loin des sempiternels régimes, là-bas, la tendance est plutôt au gavage.
La Mauritanie est située au nord-ouest de l’Afrique. C’est un territoire peu peuplé (3,4 millions d’habitants en 2012), peu développé (en 2009, il se situe à la 154e place pour l’IDH, sur 182 pays), et majoritairement rural.
À cause de la pauvreté, l’obésité est le signe d’un statut social élevé : cela montre que l’on a les moyens de se nourrir. En outre, une femme plus en chair est supposée mettre au monde des enfants en bonne santé. Charlotte Abaka – avocate spécialisée dans la défense des droits des femmes – explique enfin que, « en grossissant, [les filles] paraissent plus vieilles et donc bonnes à marier. »
Ce n’est pas le seul pays où l’obésité féminine peut représenter un atout. D’après un article de Courrier international datant de 2005, il s’agirait d’un phénomène récurrent dans le monde arabe. Néanmoins, en Mauritanie, chez la minorité maure, il peut prendre une ampleur gargantuesque. Afin d’accélérer le mariage de leur fille, de l’embellir, certains Maures (minorité à ne pas confondre avec les Mauritaniens) pratiquent ce que nous autres Français appelons « gavage » : on les force à se nourrir. L’article de Courrier international rapporte notamment ce témoignage de Jihat Mint Ethman :
« J’avais 8 ans et je vivais dans une famille nomade du désert de Mauritanie, quand ma mère a commencé à me gaver. Je devais boire quatre litres de lait le matin, avec du couscous. J’avalais la même chose à l’heure du déjeuner. À minuit, on me réveillait pour boire quelques pintes de plus, enfin, à 6 heures du matin, on me servait un autre repas avant le petit déjeuner. Si je refusais de manger, ma mère me tordait les orteils jusqu’à ce que la douleur soit insupportable. À force de gavage, je ressemblais à un matelas. »
Mais d’où vient cette technique du gavage ? Dans son mémoire, Nejwa El Kettab explique que les femmes occupent une place centrale dans la société mauritanienne et elles sont très respectées (oui, malgré le gavage). Ce sont elles qui « assument les devoirs de l’hospitalité et d’entretien du foyer et des affaires qui sont liées à la survie du groupe et de la famille. » Quant aux hommes, ils « servent les femmes » et se soucient de leur bien-être. « Cette volonté de servir la femme de manière à ce qu’elle ne manque de rien vient expliquer ce rite du gavage et de l’entretien du corps de la femme présent dans cette société. »
Donc, non, la pratique du gavage n’est pas le signe d’un esclavagisme misogyne. Mais plutôt l’excès paradoxal du respect porté aux femmes. D’ailleurs, elle n’est l’affaire que d’une minorité de plus en plus faible. En 2004, l’ONU a organisé une conférence sur le thème de l’obésité, tandis que la Mauritanie engageait une campagne de sensibilisation.
Entre les gavages et l’anorexie, il semble que le juste milieu ne soit pas toujours facile à trouver.
Pour en savoir plus :
– l’article sur le site Vivelesrondes.com (2005), assez court mais donnant une bonne idée du phénomène ;
– le mémoire de Nejwa El Kettab, Engagement politique et associatif des femmes en Mauritanie (Université de Picardie Jules Verne – Master 2 recherche sociologie 2012). On peut le consulter via ce lien.
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