Le phénomène inquiète et étonne. Aujourd’hui, la délinquance des ados provenant des quartiers populaires se voit concurrencer par une autre : la délinquance dite « sénile ». Oubliez les vieux chétifs, amateurs de Scrabble ou de bridge, dépendants des médicaments : les personnes âgées ne sont plus ce qu’elles étaient.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Montée de la violence chez les retraités
Les forces de police remarquent que les personnes de plus de soixante-dix ans sont concernées par un nombre croissant de délits (bris de glace, vols à la tire, ivresse sur la voie publique voire violences contre les personnes) et de marques d’incivisme (crachats, jets de détritus sur les trottoirs, tags, etc.).
Le phénomène se remarque aussi bien dans les grandes villes où ils ne constituent qu’une minorité, que dans les campagnes. Au Limousin, où ils représentent près de 40 % de la population, on pourrait même parler de gérontocratie. À Toulouse, celle que l’on surnomme « la Sorcière du Mirail » est une figure d’autorité chez les mouvements étudiants. Bien que cette sexagénaire survoltée semble encore loin de la retraite, elle a rassemblé beaucoup de ces « vieux voyous » au sein d’un club de parkour. Coïncidence ou non, deux membres sont morts d’une overdose et un troisième a succombé lors d’une altercation avec un autre « club ». De fait, les grands-mères jusqu’ici insoupçonnables sont de plus en plus fréquemment arrêtées par la police. À en croire un agent qui souhaite garder l’anonymat, beaucoup plus de vieilles dames qu’on pourrait le penser sont surprises en possession de drogue.
Xennials et Millennials – car les Français nés entre les années 80 et 90 constituent le fer-de-lance de cette nouvelle délinquance – semblent en pleine révolte. Avec le franc-parler qu’on lui connaît, l’écrivain Martial Lemarais parle même de « crise d’obsolescence ». Lui-même va sur ses soixante et un ans et, dans une interview pour le magazine Lire, il n’écarte pas la possibilité qu’il rejoigne le mouvement d’ici la fin de la décennie.
Génération désenchantée
Autrefois, les « anciens » étaient les figures de la sagesse. Ils représentaient l’autorité par excellence. On écoutait Papy et Mamie, on leur obéissait, car ils savaient.
Mais, depuis le XXe siècle, les personnes âgées ont peu à peu perdu de leur ascendant. Leurs enfants quittent le nid familial dès que possible, certains partent à l’étranger sans donner de nouvelles. Parents puis grands-parents se retrouvent seuls ; et c’est encore pire chez les personnes âgées sans enfants. Toutefois, c’est généralement après la retraite que les choses se dégradent avec le désœuvrement, l’isolement et de la vulnérabilité qui en résulte souvent : agressions, cambriolages voire viols. Chez nombre de septuagénaires, le spectre des maisons de retraite commence aussi à se profiler : ces antichambres de la mort où personne ne leur rendra visite. En France, la loi interdit de dépasser les 10% de robots « intelligents » au sein du personnel des établissements de soin ; mais ce n’est pas suffisant pour épargner la solitude aux retraités. En témoigne la recrudescence des suicides dans les EHPAD, depuis une dizaine d’années.
Les sociologues évoquent une foule d’autres facteurs : Alzheimer, nihilisme, réaction désespérée face au rejet dont ils sont victimes. Sans oublier, bien sûr, l’environnement où ils ont baigné leur vie durant, entre jeux vidéo, pandémie, guerre des Trois Confessions et désenchantement politique ; certains médicaments même poussent à l’agressivité. Enfin, à l’inverse des jeunes voyous, ceux qu’on appelle parfois cavalièrement les « canailles à trois pattes » voient approcher leur heure.
Le troisième âge contre les ados
Bref, nos aînés ont décidé de reprendre leur vie en main (ou ce qu’il en reste). Tout comme les voyous ados, les « VV » (pour « vieux voyous ») chassent en bande. On peut souvent en voir trois ou quatre marcher de front sur le trottoir, obligeant ici une mère de famille à en descendre avec sa poussette, et là un couple à se pousser avec appréhension. Ils se (re)mettent à la drogue, la schmeul étant leur favorite. Et ils ne se contentent pas d’en consommer. En centre-ville, le soir, dans les rues connues pour pulluler de dealers, les retraités se mêlent aux ados. Ce qui n’est pas sans engendrer des rivalités entre les vieux voyous et ceux qui ont l’âge de leurs petits-enfants.
Car, si les retraités pètent les plombs, les jeunes ne s’assagissent pas. Dans le 20e arrondissement parisien, Maxime, 15 ans, avoue que les personnes âgées sont des proies idéales pour le vol à la tire… du moins jusqu’il y a peu. L’un de ses amis a ainsi été retrouvé sans connaissance, après un passage à tabac féroce, à coups de canne. La police a interpellé un individu suspect : Lucas N., un septuagénaire avec moins de trente points sur le carnet civique. Maxime connaît bien ce « vieux con » qui s’en est déjà pris à des ados du quartier. Ici, à vrai dire, le fossé générationnel est en train de se transformer en tranchée : rares sont les petits-enfants qui vont déjeuner le dimanche chez Papy et Mamie.
Entrons-nous dans une guerre entre jeunes et vieux ? Une partie de la population devra-t-elle désormais prendre parti pour ses enfants contre ses propres parents, ou l’inverse ? Et surtout : à l’avenir, qui pourra calmer les ardeurs de ces générations tourmentées ? Autant d’interrogations auxquelles il s’agit de répondre rapidement afin d’éviter le chaos social à long terme.
(Tiré d’un article de L’Alternatif du 11 août 2051.)
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